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Conte de Noël

Sa main trembla lorsqu’elle plaça sa missive dans la boîte à lettres de l’EPHAD. Elle avait relu l’adresse une bonne dizaine de fois pour s’assurer de ne rien avoir oublié…

Son cœur battait la chamade. Elle avait tant hésité avant d’entreprendre cette démarche… qu’elle qualifiait elle-même de folle !

Pourtant, en dépit de ses nombreuses réticences, elle n’avait pas réussi à abandonner son projet qui lui donnait une ultime raison de vivre.

La missive était désormais avalée par la « gueule » béante du container postal.

Marie-Louise demeurait debout face à lui, les jambes flageolantes, sa tête retraçant le parcours du combattant qu’il lui avait fallu mener, ne serait-ce que pour se procurer l’adresse du destinataire. Son arrière-petite fille, Lisa, l’avait bien aidée dans ses démarches complexes.

La sexagénaire n’avait jamais été douée dans le maniement de la langue française. De son temps, il n’était pas donné à tout le monde de suivre des études. Aussi craignait-elle de s’avérer ridicule en écrivant un courrier truffé de fautes d’orthographe. Elle en aurait conçu une immense honte. Là encore, Lisa avait accepté de procéder à la correction de ses maladresses grammaticales.

Toutefois le plus difficile fut d’ouvrir son cœur afin d’en extraire les sentiments douloureux qu’elle y avait cadenassés, ces deux dernières années, au moment où sa famille avait dû la placer dans un établissement spécialisé.

Mutique et fière, elle avait souhaité dissimuler son amertume et plus encore son désespoir de quitter sa maison, ses meubles, son jardinet et ses souvenirs…

Aucun de ses enfants n’avait perçu sa détresse, habituée qu’elle était de taire ses ressentis.

D’ailleurs leur livrer le contenu de son cœur n’aurait rien changé à la situation qu’avaient envisagée, pour ses vieux jours, médecin et enfants sur son futur sort.

À contrecœur, elle avait accepté d’être séparée des objets amassés tout au long de sa vie. Au fond, n’était-ce pas que du matériel qui encombrait son espace ? Elle avait d’ailleurs pu conserver quelques bibelots à la valeur plus sentimentale que financière.

En revanche, tout son être se révoltait d’avoir perdu l’amour de sa vie, sa raison de croire en un avenir plus doux.

N’avait-elle pas dû faire le deuil de son mari, cinq ans auparavant ? Et Dieu était témoin que sa solitude avait été immense après le décès de son époux.

La dernière séparation qu’on lui avait imposée la laissait inconsolable.

Quelque part, à une trentaine de kilomètres du lieu de sa résidence, était retenu son chien, Loulou.

Personne n’avait pu le garder dans son entourage : trop vieux, trop exigeant, etc. Bref, il finissait sa vie à la SPA.

Et le sort inacceptable de son compagnon abandonné loin de son affection la torturait et lui ôtait le peu de force qui lui restait.

Marie-Louise refusait d’être coupée de lui, sous prétexte qu’elle n’était plus en mesure de s’assumer toute seule dans sa maison. Son chien ne devait pas en supporter les conséquences. Ils avaient besoin l’un de l’autre jusqu’à leur dernier souffle.

Une rafale de vent la déstabilisa et lui fit prendre conscience du froid mordant qui l’enveloppait à quelques jours de Noël.

De jolis papillons blancs voltigeaient autour d’elle, dans une danse fantaisiste.

Sa lettre était adressée au Père-Noël, à l’homme qui réalisait tous les vœux des enfants.

Exceptionnellement prendrait-il peut-être en compte ceux d’une vieille femme ?

Elle lui demandait, animée d’une foi inébranlable, que l’EPHAD accepte de prendre son Loulou au sein de l’établissement, pour qu’il termine ses jours auprès de sa maîtresse.

Elle se sentait tout à fait en capacité de le promener dans le parc, de lui donner à manger deux fois par jour, comme elle l’avait réalisé depuis son arrivée dans leur vie, douze ans auparavant.

Cette petite boule de poils blanc et noir avait conquis le cœur de son mari et le sien, et Loulou avait partagé leur quotidien jusqu’à ce jour cruel où on l’avait arraché à son amour.

Marie-Louise avait tant entendu parler du triste sort que connaissaient tous ces animaux abandonnés dans des cages qu’elle était malade d’envisager le chagrin de son ami fidèle, seul et dépourvu de la chaleur de son foyer.

Peu à peu la vieille dame avait réussi à extirper les mots exprimant son désespoir et elle les avait couchés sur cette feuille de papier, suppliant le petit personnage légendaire de lui accorder le retour de Loulou à ses côtés.

Lorsque, le soir même, madame Sauveur découvrit la lettre de Marie-Louise adressée au Père-Noël, parmi les plis destinés à la Poste, elle décida de l’ouvrir pour connaître son contenu.

Quelle demande insolite pouvait bien avoir l’une de ses pensionnaires pour la confier à cet ambassadeur plein de ressources ?

Le cri de détresse qu’elle découvrit fut un électrochoc. Il exprimait, avec tant d’amour et de sensibilité, le désespoir de cette femme face à la perte de son compagnon à quatre pattes qu’elle convoqua immédiatement un conseil exceptionnel. Elle voulait lui soumettre la possibilité d’accepter sa demande et d’envisager toutes les conséquences qu’entraînerait un tel accord au sein de l’EPHAD ?

Les autres administrateurs furent eux-mêmes émus devant tant de détresse. Ils votèrent donc à l’unanimité l’acceptation de la venue de Loulou auprès de sa maîtresse.

Ils décidèrent également de choisir deux chats et une autre chienne pour tenir compagnie aux quelques résidents qui en feraient la demande.

Au matin du 25 décembre, quelle ne fut la surprise de Marie-Louise de découvrir à sa porte Loulou, le cou entouré d’un magnifique nœud rouge ?

Des larmes de bonheur inondèrent son visage ridé et ses yeux délavés se mirent à pétiller de bonheur.

Comme quoi le Père-Noël existe bien, ce n’est pas une légende !

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